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Les événements violents qui se sont déroulés au cours des
derniers mois à Charlottesville, en Virginie, ont donné aux Américains une
nouvelle urgence pour discuter de l'importance et du symbolisme derrière leurs monuments
publics confédérés. S'il est vrai que l'histoire ne peut pas être réécrite
(comme le dit le vieil adage), il est néanmoins important que les monuments
servent d'unificateurs symboliques et ne devraient certainement pas servir à
offenser et à diviser. Mais, en ce qui concerne les monuments confédérés, aux
États-Unis, c’est justement ça qui semble se passer, divisant les Américains
avec des symboles glorifiés de la triste histoire des Virginiens de couleur,
une négativité qui s'étend à tous les Afro-Américains ainsi qu'à tous les
autres non-blancs ou voire tous citoyens américains marginalisés en général.
Évidemment, même si le Canada n'est pas un pays qui possède des centaines de
monuments de la Guerre civile américaine (ou Guerre de Sécession), il existe
néanmoins de nombreuses statues et bâtiments et des noms «honorés» qui divisent
les Canadiens de la même manière—pour la plupart, ce sont des «reliques
racistes» de notre passé colonial. Par exemple, tout le conflit entourant la
statue de Cornwallis à Halifax, qui a récemment suscité beaucoup d'attention
aux médias et a fait les manchettes nationales, a vraiment servi à porter de
l’avant un débat sur le symbole négatif du passé colonial de la Nouvelle-Écosse
et le fait qu’il soit honoré de cette manière. De même, un autre personnage
raciste est le colonel britannique Robert Monckton, l'homme que ma ville natale
de Moncton, au Nouveau-Brunswick, honore. Pour quelque raison que ce soit, le
nom Monc(k)ton (il a depuis perdu son ‘k’) n'a pas encore été entraîné dans ce
débat public entourant ces figures historiques si controversées du passé
colonial canadien qui devraient cesser d'être «honorés». À partir de 1755,
Robert Monckton a commis de nombreuses atrocités contre la population civile
acadienne alors qu'il tentait de les expulser au début de la Déportation et,
dans les cercles francophones, il est même communément appelé de nos jours un
boucher des Acadiens. Mais en dépit de tout cela, pour autant que je le sache,
il n'y a pas encore eu de campagne "Effacer Moncton" qui a vu lumière
du jour dans la communauté acadienne de la ville de Moncton—même si,
ironie des ironies, la plupart des Acadiens de la région sont en fait
descendants de ces Acadiens qui s’étaient sauvés dans le bois afin d’échapper à
un massacre imminent sous les ordres de Monckton, voire la Déportation.
En tant que gouverneur de la Nouvelle-Écosse et officier
militaire crédité pour la fondation de la ville de Halifax en 1749, Edward
Cornwallis, dans cette même année, offrirait des primes pour les scalps des
Mi'kmaq. Voilà pourquoi des groupes mi'kmaq entr’autres activistes demandent
qu’on enlève la statue controversée d'Edward Cornwallis d'un parc d'Halifax cela
fait depuis des années, mais en dépit de tout cet effort, elle s’y trouve toujours.
Daniel N. Paul, historien mi'kmaq et activiste des droits de la personne,
préconise le déménagement de la statue de Cornwallis depuis des décennies, et
les membres de l'Assemblée des Chefs des Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse
conviennent également qu'elle devrait être enlevée... Mais, malgré tout les
efforts, la statue de Cornwallis hante toujours le parc du centre-ville
d'Halifax—une figure génocidaire qui est un affront à la nation mi'kmaq
et au peuple acadien. Cependant, on pourrait dire qu'un honneur encore plus
grand a été accordé à la figure génocidaire du colonel Robert Monckton lorsque
ma ville natale de Moncton, N.-B., a été nommée après lui.
À l'automne 1755, après que les autorités coloniales
britanniques, les gouverneurs Edward Cornwallis et Charles Lawrence, ont décidé
que les Acadiens représentaient une menace, c'était sous la direction de
Lawrence que le colonel Monckton avait pour tâche de rassembler les Acadiens.
Il a donc commencé par rassembler 400 hommes acadiens à Fort Cumberland le 10
août 1755 et, ensuite, dans les mois qui ont suivi plus de 7 000 hommes, femmes
et enfants acadiens—presque toute la population civile—des
colonies françaises habitant les établissements de la baie de Fundy seraient
forcés de leurs maisons, bondés sur des navires contre leur volonté en petits
groupes, et avec de nombreuses familles séparées pour toujours. On connaît trop
bien le reste de cette triste histoire, car les Acadiens furent largement
dispersés dans le monde atlantique. En tout, cet épisode particulièrement
triste de notre histoire a continué pendant huit ans; l'expulsion des Acadiens
a eu lieu principalement pendant l'année 1755, bien que les déplacements aient
été organisés jusqu'à la fin de la Guerre de Sept Ans (1763). Même si les
chiffres exacts varient, sur les 14 100 personnes vivant dans l'Acadie
(Nouvelle-Écosse), l'Île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard), l'Île Royale (île
du Cap-Breton et l'isthme de Chignectou), on estime qu'environ 11 500 Acadiens
ont été expulsés et environ 8 000 ont péri avant d'atteindre leur destination,
soit à cause des épidémies, du froid, de la misère, de la malnutrition ou
naufrages (1). Avec la Déportation, les propriétés que les Acadiens ont dû
laisser derrière eux seraient pillées, leurs maisons incendiées et leurs terres
saisies. Un recensement de l'année 1764, réalisé par la Société historique de
Massachussetts, estime que seulement 2 600 Acadiens sont restés dans la colonie—sur un
total de 12 998 pour la population de la Nouvelle-Écosse, ce sont ceux qui ont
vraisemblablement réussi d’échapper la Déportation (2). Seulement pour mettre
un peu de perspective sur ces chiffres, en 1765, la population de la
Nouvelle-France est estimée à 55 009 (3).
Voilà qu’avec le Grand Dérangement, comme nous l’appelons, la
plupart de la population acadienne a été expulsée et, l'Acadie, ce qui fut la
première colonie établie en Amérique du Nord, serait dorénavant sous le
contrôle des autorités britanniques. La Déportation des Acadiens a réclamé des
milliers de vies et est maintenant considéré comme une tentative de génocide
culturel britannique des Acadiens, ou «nettoyage ethnique» si vous préférez.
L'historien renommé, John Mack Faragher, en discutant de son livre
A Great and Noble Scheme: The Tragic Story of the Expulsion of the
French Acadians from their American Homeland (New York, 2005), nous
décrit certaines des atrocités barbares commises par le colonel Robert Monckton
et ses troupes face aux Acadiens. Ces persécutions anti-acadiennes du 18ème
siècle apportent à l'esprit des scènes de pogroms à grande échelle comme ceux
menés contre les Juifs dans l'Empire russe. Faragher écrit (4):
In the autumn of 1755 officers and troops from New England, acting under the authority of the colonial governors of Nova Scotia and Massachusetts, systematically rounded up more than 7,000 Acadians who lived in communities along the shores of the Bay of Fundy. Men, women, and children alike were crowded into transport vessels and deported in small groups to the other British colonies. Many families were separated, some never to meet again. The remaining 10,000 to 12,000 Acadians managed to escape and spent years as refugees. Many took up arms in resistance. The campaign of removal continued for eight years, by which time a total of more than 10,000 Acadians had been forced from their homes and dispersed widely across the Atlantic world. Meanwhile, their property was plundered, their communities were torched and their lands were seized.
Some of the most appalling violence occurred at the site of present-day Fredericton, New Brunswick, in a village called Sainte-Anne along both sides of the St. John River, which was home to approximately 1,000 Acadians. In November 1758, Colonel Robert Monckton, in command of 2,000 troops, ascended the river as far as present-day Gagetown, leaving a swath of destruction on both banks; he succeeded in capturing few of the Acadians living there, though, as most of them had fled upriver to Sainte-Anne. To remedy this, two months later in February 1759 Monckton sent a company of 15 New England rangers, under the command of Lieutenant Moses Hazen of Massachusetts, to strike that community. Hazen was ordered to "kill them all and give no quarter". He succeeded in bringing back 23 prisoners and 6 scalps. Joseph Godin-Bellefontaine, several years a resident of Sainte-Anne at the time, provided a rare first-hand Acadian account of the attack. The rangers captured his entire family, Godin-Bellefontaine declared in a deposition taken by French authorities. He and his grown son Michel were bound hand and foot and forced to watch as the Yankees abused their wives and daughters. "They took their rage to the point of massacring his daughter Nastazie, wife of Eustache Paré", reads the deposition, "crushing her head with a blow of the butt of a gun, his two children and a son of Michel, and splitting the head of the wife of the latter with a blow of a hatchet". The surviving members of the Godin-Bellefontaine family were sent to Halifax and eventually transported to France.
Dans une tentative d'exterminer les Acadiens, avec la
Déportation (1755-1764), les puissances coloniales britanniques avaient
certainement mis en place un plan pour que cela se produise. Lorsque le colonel
Robert Monckton a donné les ordres aux Rangers de la Nouvelle-Angleterre qu’ils
tuent tous les Acadiens (“kill them
all” étaient ses mots exacts en anglais, voir citation ci-haut), on pourrait
donc dire que cela en fait de lui l'un des principaux architectes de notre
génocide culturel.
Il n'y a certainement rien de nouveau à remplacer un nom de lieu
jugé offensif pour ses habitants. Par exemple, comme l’insulte que cause les monuments
publics confédérés aux Afro-Américains, l'utilisation du mot «Nègre» (ou son
équivalent anglais Negro) dans les
noms de lieux au Canada a également provoqué certains changements en raison de
la négativité qui l'entoure. À titre d'exemple, plus tôt cette année, en
février, le Mois de l'histoire des Noirs, la province du Nouveau-Brunswick a
annoncé qu'elle remplacerait officiellement cinq noms de lieux dans la région
de Saint-Jean qui contenaient toujours le terme anachronique «Nègre».
Dorénavant, le Negro Lake à Grand-Bay-Westfield s'appellera le Lac Corankapone
en l'honneur de Richard Wheeler dont le nom africain était Corankapone; Negro
Point à Saint-Jean a été rebaptisé Hodges Point, nommé après la famille Hodges
qui étaient des loyalistes noirs; Negro Head est devenue Lorneville Head; Negro
Brook à Grand Bay-Westfield a été changé en Black Loyalist Brook, et Negro
Brook Road a été changé à Harriet O'Ree Road (5).
Un autre nom divisif du «héritage de la colonisation» du Canada
a été celui du bâtiment où se trouvent les bureaux du Premier ministre sur la
rue Wellington à Ottawa, l'Édifice Langevin, juste en face de la Colline du Parlement.
En juin, pour ceux qui ne le savaient pas déjà, le Premier ministre Justin
Trudeau a renommé l'Édifice Langevin, et son nouveau nom est le Bureau du
Premier ministre et du Conseil privé. La raison derrière le changement de nom
est simple, Hector-Louis Langevin, Père de la Confédération et membre important
du cabinet de Sir John A. MacDonald, était également un promoteur des
pensionnats autochtones (les écoles résidentielles). Par conséquent, avec le long
chemin difficile entourant la réconciliation entre les Premières Nations et le
Canada; bref, à cause que Langevin pour plusieurs personnes est en quelque
sorte emblématique du génocide culturel amérindien, le nom Langevin a dû être
enlevé. Et, la même chose s'est produite à Calgary, où le Langevin Bridge a
depuis été rebaptisé Reconciliation Bridge (6). À l'heure actuelle, même le nom
du premier Premier ministre du Canada, John A. Macdonald, pourrait bientôt être
retiré des écoles publiques de l'Ontario. Le mois dernier (17 août), il a été
signalé qu'une majorité de délégués à l'assemblée générale annuelle de la Elementary Teachers Federation of Ontario «ont
convenu que le nom du premier Premier ministre du Canada devrait être retiré
des écoles publiques de l'Ontario». Comme Aaron Wherry (CBC News) en a fait
mention dans un reportage: Selon la motion, l'union appelle les districts
scolaires à "examiner et renommer les écoles et les bâtiments nommés
d'après Sir John A. Macdonald, en reconnaissance de son rôle central en tant
qu'architecte du génocide contre les peuples autochtones ." (7)
Tout comme les statues des soldats confédérés sont insultantes et
rappellent aux Afro-Américains un passé d'esclavage et d'oppression, de la même
manière, le nom de la ville de Moncton rappelle aux Acadiens et aux Mi'kmaq des
tentatives de génocide culturel par les britanniques racistes. En tenant compte
de toute la négativité et du symbole du génocide que le nom 'Moncton' invoque,
il devrait sans aucun doute être changé. Mais alors, quel devrait être le
nouveau nom de la ville de Moncton?
Les premières établissements acadiennes à l’entrée de la Baie de
Fundy datent des années 1670, et la première référence à la rivière Petitcodiac
apparaît sur la carte De Meulles en 1686: le nom Petitcodiac vient du mot
Mi'kmaq qui signifie «plis comme un arc». Dès 1700, la colonie acadienne de
Chipoudie a été établie à l'embouchure de la rivière Petitcodiac et, progressivement,
elle s’étendrait avec le temps jusqu’aux vallées de Petitcodiac et de Memramcook,
et cela jusqu'à ce que sa population atteigne enfin le site actuel de Moncton
en 1733 – là les premiers colons acadiens ont établi ont construit des
aboiteaux dans les marais l'ont nommé Le
Coude. Après que le colonel Robert Monckton a capturé le Fort Beauséjour en
1755, à proximité de Le Coude
(Moncton), avec la vallée de la rivière Petitcodiac sous contrôle britannique,
la population acadienne de la région serait déportée par décret du gouverneur
Charles Lawrence. Par contre, heureusement, certains des habitants des vallées de
Petitcodiac et de Memramcook ont réussi à s'échapper et, sous la direction du
légendaire Joseph dit "Beausoleil" Broussard, avec leurs alliés
amérindiens, les Acadiens et Mi'kmaq se sont organisée en milice et résistèrent
contre l’ennemi britannique jusqu'à temps que Beausoleil-Broussard lui-même
finirait par être expulsé et serait enfin parmi les premières familles
acadiennes à s'installer en Louisiane. Avec l'expulsion des Acadiens, l’établissement
de Le Coude (Moncton) restera donc
vide jusqu'en juin 1766, lorsque huit familles immigrantes «Deutsch» de la
Pennsylvanie sont arrivées avec un octroi de concession de terres et une charte
de la Philadelphia Land Company qui leur permettait d’établir le Monckton Township sur le site de l’ancienne
colonie acadienne de Le Coude; leur
nouvelle colonie s'appellerait The Bend
of the Petitcodiac, ou simplement The Bend.
Alors, en effaçant le nom 'Moncton' de la carte, quel devrait
être le nouveau nom de la ville - Le
Coude, The Bend? Ou encore mieux, peut-être que le temps est venu de redonner
à la ville son nom d'origine: le même nom de la rivière qui l'entoure, Petitcodiac? Ou préférez-vous possiblement
conserver le nom Moncton en dépit de
toute la négativité qu'il représente? Veuillez indiquer votre choix ci-dessous
et, si suffisamment de personnes s'en soucient, votre choix sera inclus dans la
campagne «Efface Moncton» qui sera soumise à la province du Nouveau-Brunswick
(dans le cadre du programme Toponymie - Nom géographique - Demande d'organisme).
Paul D. LeBlanc
For English version of this article click on http://inquestiatimes.blogspot.ca/2017/09/monckton-architect-of-genocide.html
Paul D. LeBlanc
For English version of this article click on http://inquestiatimes.blogspot.ca/2017/09/monckton-architect-of-genocide.html
#effacemoncton #removemoncton
Notes
(1) WHITE, Stephen. “The True Number of Acadians.” Dans Rene
Gilles-LeBlanc, ed. Du Grand dérangement à la Déportation : nouvelles
perspectives historiques, Moncton: Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 2005: pp. 21-56.
(2) L’information du recensement
disponible à http://www.statcan.gc.ca/pub/98-187-x/4064810-eng.htm
(3) L’information du recensement
disponible à http://www.statcan.gc.ca/pub/98-187-x/4064810-eng.htm)
(4) FARAGHER, John Mack. “A Great
and Noble Scheme”: Thoughts on the Expulsion of the Acadians. Acadiensis,
[S.l.], p. 82, oct. 2006. ISSN 1712-7432. Disponible à: <https://journals.lib.unb.ca/index.php/Acadiensis/article/view/5726/11196>.
Date accessed: 01 sep. 2017.
(5) Tel que reporté dans The Star
2017/02/28 https://www.thestar.com/news/canada/2017/02/28/new-brunswick-officially-renames-five-locations-to-replace-word-negro.html)
(6) Comme indiqué par le CBC http://www.cbc.ca/news/politics/canada-monuments-buildings-legacy-1.4248680)
A quel endroit pour indiquer notre choix?
ReplyDeleteTu peux l'indiquer droit icitte.
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