Nichée à côté de la boueuse rivière Petitcodiac -
affectueusement appelée «rivière de chocolat» par ses habitants – Moncton est
la plus grande ville du Nouveau-Brunswick. Alors que la ville fut autrefois un
grand port de construction navale, Moncton est maintenant la ville qui connaît
la croissance la plus rapide dans toutes les provinces maritimes, avec une
économie concentrée sur le transport et son grand nombre de centres d'appels
attirés ici par sa main-d'œuvre bilingue. Depuis que Moncton a été traumatisée
dans les années 1980 avec la fermeture de ses
usines de locomotives CNR, la ville a rebondi et à réussi – comme qu’on
dit par chez-nous – d’enfin se tcheindre deboute sur ses propres deux pieds à
nouveau! La ville a choisi d'adopter la devise Resurgo après sa renaissance en tant que ville ferroviaire. Avec un
beau centre-ville en briques rouges, longeant les berges boueuses de la
Petitcodiac avec les vagues impressionnantes de son mascaret, Moncton est
plutôt pittoresque. Et, par rapport à ses habitants, c’est facile de piquer une
jasette avec, car il y plein de monde intéressant là, qu’il s’agisse de vieux
amis, ou de nouveaux. Cependant, même si je l’aime bien ma ville natale, le nom
«Moncton» en n’est pas un dont je suis trop fier. L'histoire derrière ce nom évoque
des histoires de sang, de maisons en feu et de déportation... Cela nous
rappelle également la raison pour laquelle, en tant qu'Acadiens, nous ne vivons
plus dans un pays appelé Acadie. Et, bien sûr, quant à nos amis et nos proches,
les nations Mi'kmaq et Malécites, ils ont eu un sort semblable au nôtre.
Évidemment, le nom «Moncton» rappelle la vérité derrière le fait
qu'il y a des communautés acadiennes réparties partout – tout le long de la
côte est de l'Amérique du Nord. En outre, «Moncton» sert également de réponse
pour savoir pourquoi une partie importante de ma culture cherche à se rappeler
le temps avant le Grand Dérangement. Si vous ne saviez pas déjà, la culture
acadienne semble souvent se concentrer sur les regroupements familiaux et la
généalogie – afin de se rappeler de ces liens de parenté prédatant l'expulsion,
avant que les familles soient forcément séparées pour toujours.
En août 1755, le lieutenant-colonel Robert Monckton a envoyé le
capitaine Sylvanus Cobb pour expulser la population acadienne de Chipoudie, qui
formait une partie de la région de Trois-Rivières. La région de Trois-Rivières
comprend les vallées de Chipoudie, Petitcodiac et Memramcook. Des soldats
anglais ont été envoyés aux colonies de Beaubassin, Petitcodiac, Chipoudie et
Memramcook pour capturer tous les Acadiens et d’en faire des prisonniers.
Cependant, avec l’aide du père François Le Guerne, le missionnaire local, les
Acadiens se sont cachés dans les bois. Puis, à la fin d'août, un chef important
de la milice acadienne, Charles Deschamps de Boishébert, accompagné d'une force
de guérilla qui comprenait des combattants acadiens et Mi'kmaq – jusqu'à 125
soldats en tout – ont surpris les 200 Rangers, ou mercenaires, de la
Nouvelle-Angleterre, que le colonel Monckton avait expédiés sous le
commandement du major Joseph Frye de Massachussetts pour détruire toutes les
colonies acadiennes le long de la rivière Petitcodiac (1). Les Anglais avaient embarqué
dans leurs navires et, naviguant vers le bas de la rivière, ils finiraient par
mettre le feu aux 181 maisons et à l'église de Chipoudie, ainsi que 250 maisons
à Petitcodiac. Ayant attendu au bon moment de frapper, Boishébert avait
finalement donné l'ordre d'attaquer au moment où les Anglais mettaient le feu à
l'église de Chipoudie (également connu sous le nom Village-des-Blanchard,
aujourd'hui Hillsborough). L'auteur haligonien, Dean Jobb, décrit bien la
bataille qui a suivi (2):
On September 2, after a profitable morning of burning on either side of the river, a detachment landed at a village nestled below a newly built church. As the soldiers went about their work, a small group headed uphill to set fire to the church. At that moment, as many as 300 of Boishébert’s fighters charged out of the woods, firing as they ran. A battle raged for three hours, leaving more than twenty New England soldiers dead and several more badly wounded. Boishébert lost only one man. The British casualties—eclipsing those of the entire siege of Beauséjour—put the entire camp on edge.
Après trois heures de combats féroces, les Anglais se sont
retirés, ont laissé 42 morts et environ 45 blessés (3). C'est ainsi que 200
familles acadiennes ont pu échapper à la déportation et qui, pour la plupart,
finissent par se réinstaller dans les régions entre Shédiac et Cocagne, ce qui
comprend mon propre village natal de Memramcook, longeant la rivière
Petitcodiac.
Memramcook avait accueilli les Mi'kmaq pendant de nombreuses
années longtemps avant que les Acadiens ne s'y installent vers 1700. Alors qu'une
grande partie des Acadiens de Memramcook finirait par être expulsée en 1755, le
village lui-même a survécu. Incroyablement, Memramcook fut le seul village de la
"Vieille Acadie" à survivre au Grand Dérangement. Pour cette raison, Memramcook
deviendrait encore plus important pour l'Acadie après la Déportation – en tant
que symbole de survivance et du patrimoine acadien. Souvent appelé le berceau de l'Acadie, au 18ème siècle,
les colons de Memramcook établiraient les bases de villages importants tels que
Bouctouche et Richibouctou. De plus, plus récemment, surtout depuis la
fondation de l'Université de Moncton en 1963, les Acadiens de Memramcook joueraient
un rôle-clé dans le développement de la culture acadienne dans la grande région
de Moncton, ce qui, bien sûr, inclut la ville voisine de Dieppe, une ville
majoritairement acadienne qui relie Moncton à Memramcook.
En rétrospective, quand on regarde à l'histoire des persécutions
acadiennes dans les Maritimes, Memramcook, en tant que seul village acadien à
avoir survécu à la Déportation, s'est révélé résistant. De plus, jusqu'au
milieu du 19ème siècle, on trouvait à Memramcook une des plus grandes
populations de Mi'kmaq dans la région. Bien que, malheureusement, pour diverses
raisons, les Mi'kmaq ont depuis quitté la région (l'ancienne réserve Mi'kmaq à
Beaumont, a.k.a. la réserve Fort Folly) et se sont réinstallés dans les
environs de Dorchester. Bref, même si Monckton a essayé de supprimer notre
présence là-bas, Memramcook est un beau petit village acadien qui est toujours
là. Mais, comme le dit le vieil adage, celui qui comprend le passé contrôle le
futur... En considération de cette sagesse, on peut bien dire que si les gens
de Memramcook, Dieppe, Moncton et les Néo-Brunswickois en général, ne
parviennent pas à comprendre la négativité – c’est-à-dire la charge négative –
que le nom «Moncton» représente, il sera donc très difficile pour que nos communautés
et nos cultures cherchent un avenir plus brillant dans l'ombre de Robert
Monckton, un passé sombre, qui se profile sur nous tous ça fait longtemps. Avec
son nom qui continue d'être honoré de cette manière, c’est un franc déshonneur!
Le lieutenant-colonel Robert Monckton a fait couler beaucoup de
sang et, on peut certainement dire qu'il est l'un des principaux architectes de
notre génocide culturel. Ainsi, dans le cadre de ce processus de réconciliation
qui semble préoccupé tout le monde de ces temps, semble-t-il que le Zeitgeist
soulève la question et apporte le nom «Moncton» à la table de discussion. Ce
nom devrait certainement être reconsidéré, discuté et débattu. À la lumière de
tout ce qu'il symbolise, je suis certain que vous pouvez bien comprendre pourquoi
que, pour certains, cela ressemble à un nom charmant, tandis que pour d'autres,
l’enseigne Welcome to Moncton – Bienvenue
à Moncton qui nous accueille en entrant dans les limites de la ville, n'est
guère réconfortant . Aussi, cela va presque sans dire que, je ne suis pas le
seul qui n’aime pas le nom de notre belle Université de Moncton, une institution
acadienne respectable qui est la plus grande université de langue française au
Canada à l'extérieur du Québec – et on a décidé d’honorer le boucher des
Acadiens, Monsieur Monckton...
Nous avons souvent tendance à minimiser le passé, à l'éloigner
d'aujourd'hui. Mais, dans le grand schéma des choses, «quelques siècles passés»
ne s'est passé que hier. Donc, demain et le lendemain, ce seront les événements
d'aujourd'hui qui seront remis en question encore et encore, de la même
manière. C'est la nature humaine, et c'est l'historien qui sera toujours là
pour vous le rappeler.
Paul D. LeBlanc
For English version of article click http://inquestiatimes.blogspot.ca/2017/09/moncktons-ghost-at-heart-of-our.html
Paul D. LeBlanc
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Notes
(1) Daniel N. Paul 2000: 143-4; Laxer 2007: 107.
(2) Tel que décrit par Jobb dans The Acadians: A People's
Story of Exile and Triumph, 2005.
(3) Daniel N. Paul 2000: 143-4.
Sources
ARSENAULT, Bona. Histoire des Acadiens. Bibliothèque
nationale du Québec, 1965.
LAXER, James. The Acadians: In Search of a Homeland.
Anchor Canada, 2007.
LEBLANC, Ronnie-Gilles. “Les réfugiés acadiens au camp
d’Espérance de la Miramichi en 1756-1761 : un épisode méconnu du Grand
Dérangement.” Dans Acadiensis, [S.l.], mai 2012. Disponible à: <https://journals.lib.unb.ca/index.php/Acadiensis/article/view/19077/21083>.
Date accédée: le 11 sept. 2017.
PAUL, Daniel N. We Were Not the Savages: A Mi’kmaq
Perspective on the Collision between European and Native American Civilizations
(New 21st century ed.). Halifax: Fernwood Publishing, 2000.
STANLEY, George F. G. New France 1744-1760: The Last Phase (Volume V of the Canadian Centenary Series). McClelland & Stewart, 2016.
STANLEY, George F. G. New France 1744-1760: The Last Phase (Volume V of the Canadian Centenary Series). McClelland & Stewart, 2016.
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