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Les Vengeurs Acadjens: Descente sur la ville...

Pour une diversité de raisons, on dit souvent que Moncton est la région qui connaît la croissance la plus rapide au Canada atlantique. Cependant, une des principales causes de cette croissance est due à l’importante migration francophone en provenance du nord de la province. En conséquence directe de la fermeture des mines, du bois d'œuvre et des usines de pâtes et papiers dans le nord du Nouveau-Brunswick, à la recherche d'occasions pour un avenir prometteur, de nombreux jeunes acadiens ont afflué vers le sud pour rejoindre la population bilingue de Moncton. Par contre, à Moncton, ville officiellement bilingue, du N.-B.,  la seule province officiellement bilingue au Canada, il est toujours surprenant de constater qu'au cours des dernières années, l'augmentation du nombre de francophones dans la région de Moncton a aussi augmenté l'anti-bilinguisme.

Martin Patriquin, dans un article publié dans Macleans l’an dernier (Can anything save New Brunswick?, le 11 mars 2016), explore ce sentiment anti-français (1):

For English-language advocates, the issue is less about cost than what they see as favouritism of French New Brunswickers. According to Statistics Canada, 71 per cent of French New Brunswickers are bilingual, while only about 15 per cent of the province’s English can speak French. “More than 70 per cent of the province is disqualified from a majority of government positions, and a growing number of private sector positions,” says Sharon Buchanan, the president of the Anglophone Rights Association of New Brunswick (ARANB).There are other insidious effects of French in New Brunswick, Buchanan says. The city of Dieppe has issued fines to businesses that neglected to put French first in their bilingual signage, and an attempt was made to change the name of Moncton’s Robinson Court to honour Acadian poet Gérald Leblanc.

Évidemment, je ne suis absolument pas d'accord. Non seulement que je ne suis pas  du tout d'accord avec les ennuis linguistiques de l'ARANB, mais, d’ailleurs, je pense qu'ils devraient en fait aborder leur problème avec le Ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick. Quoi qu'il en soit, il semble que le nombre de bilingues disproportionnellement faibles dans la communauté anglophone de la province du N.-B. reflète probablement une lacune dans le type d'éducation que reçoivent les élèves anglos. Il n'y a évidemment aucun «effet insidieux du français» dans la province et on pourrait même soutenir le contraire: dans les années 1990, après la fermeture des ateliers de locomotives du CN, une des raisons que Moncton a su se redresser après le choc économique d’une manière aussi impressionnante est en grande partie attribuable à la main-d'œuvre hautement bilingue de la ville, c’est-à-dire des talents principalement acadiens. Sous le gouvernement de Frank McKenna, Moncton a commencé à accueillir un grand nombre de centres d'appels, ce qui est l'une des principales raisons pour lesquelles de nombreux habitants du nord du Nouveau-Brunswick ont ​​afflué dans la région.

En ce qui concerne le sentiment anti-français, ou anti-acadien, chez les anglophones du Nouveau-Brunswick, malheureusement, ce n'est rien de nouveau. Historiquement, on pourrait même dire que la province du Nouveau-Brunswick est née de ce même sentiment anti-acadien qui a donné naissance aux provinces maritimes du Canada. Après l'expulsion des Acadiens du pays (le Grand Dérangement dura de 1755 à 1763), ces mêmes autorités coloniales britanniques qui avaient persécuté sans relâche et déporté la plupart de la population civile acadienne, céderaient les anciennes terres acadiennes à des planteurs anglais après leur départ forcé. Et, à la suite de la Révolution américaine, environ 14 000 réfugiés loyalistes ont rejoint les planteurs anglais dans les Maritimes, établissant donc la ville de Saint-Jean et s'installant tout autour des vallées de Saint-Jean et de la rivière Sainte-Croix. La population pré-loyaliste britannique de ce qui était à l'époque la Nouvelle-Écosse (grosso modo, la vieille Acadie) ne s'entendait pas toujours avec les nouveaux arrivants, donc, pour accommoder les loyalistes, en 1784, la Grande-Bretagne divisa la colonie de la Nouvelle-Écosse en trois colonies: le Nouveau-Brunswick, l'île du Cap-Breton et la péninsule actuelle de la Nouvelle-Écosse (la province de l’ l'île du Cap-Breton a été fusionnée avec la province du la Nouvelle-Écosse en 1820). Autrement dit, de l’autre côté de l’océan Atlantique, par un décret en Grande-Bretagne adopté le 18 juin 1784, le Nouveau-Brunswick a été créé comme une colonie loyaliste distincte. Peu après, en 1831, la New Brunswick and Nova Scotia Land Company a été créée pour transférer des terres détenues par la Couronne à des propriétaires individuels (2). Par conséquent, toutes ces vieilles fermes des terres endiguées incroyablement fertiles que les Acadiens avaient travaillé si dur à créer pour soutenir leur peuple pendant des générations, pendant les 150 dernières années, seraient alors donnés à tous ces colonsles planteurs anglais en premier et plus tard les loyalistesde la Nouvelle Angleterre que les autorités britanniques avaient importés à leur place.

Après la fin de la Guerre de Sept Ans, en 1763, de nombreux Acadiens furent autorisés à se réinstaller dans la Nouvelle-Écosse pré-partitionnée, mais à condition qu’ils se dispersent. Ils se sont alors dispersés un peu partout dans de petites collectivités côtières le long de la côte de la Nouvelle-Écosse. Les Acadiens n’ont pas été autorisés à se réinstaller sur leurs anciennes terres et n'ont non plus été permis à se réinstaller dans les régions de Port Royal ou de Grand-Pré. Alors, tous ces réfugiés acadiens qui avaient réussi à échapper aux persécutions et à la déportation britanniques finirent par se réinstaller dans d'autres parties de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick qu’ils n’avaient guère connues avant, c’est-à-dire dans des régions souvent isolées ou infertiles. Ces nouvelles colonies acadiennes sont à l’origine de nos communautés acadiennes que nous connaissons si bien aujourd'hui. En raison de leur emplacement, afin de survivre, les habitants de l’Acadie de l’après-déportation comptèrent surtout sur la pêche et, plus tard, sur la foresterie. Donc, voilà les métiers les plus populaires que nous retrouvons alors dans nos communautés acadiennes traditionnelles, bûcheron et pêcheur.

Déchargement d'une pêche record de harengs à Chéticamp, N.-É., ca. 1955.


Ces graines de notre nouvelle Acadie ont peut-être été semées, mais, à la suite de notre longue histoire de persécutions aux mains des puissances coloniales britanniques, quand le XIXe siècle arriva, nous n'avions pratiquement aucune institution que nous puissions appeler la nôtre. Et, par rapport à la population acadienne, les chiffres n'étaient pas aussi élevés que nous les connaissons aujourd'hui. Par exemple, au début du dix-neuvième siècle, il y avait 4000 Acadiens en Nouvelle-Écosse, 700 à l’Île-du-Prince-Édouard, et 3800 au Nouveau-Brunswick. Et, tout comme le continue à noter le Canadian Encyclopedia: ‘Leur établissement et leur croissance au cours du dix-neuvième siècle étaient remarquables: les Acadiens comptaient environ 87 000 au moment de la Confédération (1867) et 140 000 au début du prochain siècle’ (traduction libre) (3).

Évidemment, il va sans dire que les Acadiens, à côté de leurs alliés traditionnelsles Premières Nations malécite et mi'kmaqétaient trop souvent largement analphabètes par rapport à leurs compatriotes contemporains anglo-canadiens. Voilà un peu d’où sort tous ces stéréotypes, des bûcherons et pêcheurs qui savent ni lirent ni écrire, non plus en anglais qu’en français; la raison que je remonte un peu dans le temps est simplement pour éclaircir comment on est arrivé jusque là. Nous avons été, en quelque sorte, faconné par notre histoire. Et, comme je l'ai déjà mentionné plus tôt, la province du Nouveau-Brunswick (et bien sûr, la Nouvelle-Écosse aussi) est née de sentiments britanniques anti-acadiens et anti-autochtones. Selon moi, voilà donc pourquoi existe la Anglophone Rights Association of New Brunswick (ARANB). La vraie raison que la ARANB craint le bilinguisme c’est parce qu’il y toujours eu un sentiment anti-acadien dans la province, et cette société n’en est qu’une récente manifestation. Ce sont un peu ces mêmes sentiments anti-acadiens qui ressortent toujours lorsque les gens de Moncton s’embêtent que leur ville voisine, Dieppe, avec une population majoritairement francophone à 73%, essaie d'encourager l'affichage bilingue dans leur communauté acadienne stigmatisée. Trop souvent, dans les médias locales, les comparaisons à la language police de Québec abondent. Ce même sentiment anti-acadien a aussi fait surface quand on a annoncé que le nom de Robinson Court changerait possiblement de nom, et cela en hommage au poète acadien Gérald Leblanc (4). Quand je continue à lire et à entendre comment les malheurs linguistiques des Néo-Brunswickois ruinent la province et comment les Néo-Brunswickois francophones (Acadiens) du nord envahissent le sud; bref, on dirait que les gens ont la mémoire un peu courte. Il paraît pas que personne se rappelle pourquoi tant d'Acadiens vivent dans le nord du Nouveau-Brunswick ou sont dispersés le long de la côte dans un si grand nombre de petites communautés de pêcheurs. D’ailleurs, peut-être que nous sous-estimons les véritables motivations de l'existence d'organisations telles que l'ARANB, car ce n'est peut-être pas le bilinguisme qu’elles craignent, mais plutôt les Néo-Brunswickois francophones comme vengeurs acadjens. Est-ce qu’ils ont raison de craindre qu’on reprennent fièrement notre place dans l’histoire de notre pays ? Bien que, peu importe le cas, que nous soyons ou non des vengeurs acadjens, je ne peux m'empêcher de répéter ici que le nom de la figure génocidaire du colonel Robert Monckton ne rend pas justice aux gens de la ville de Moncton, peu importe la langue qu'ils parlent; c'est une tache qui devrait être enlevée.

Paul D. LeBlanc
#removemoncton #effacemoncton

For the English version of this article, see http://inquestiatimes.blogspot.ca/2017/10/acajun-avengers-of-mice-and-fishermen.html

Images

Image 1. Unloading record catch of herring at Cheticamp.” Date: ca. 1955
Photographer: Nova Scotia Information Service. Reference no.: Nova Scotia Information Service Nova Scotia Archives  NSIS 9285

Notes

(2) Pour plus de renseignements sur l’histoire du Nouveau-Brunswick, voir www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/new-brunswick

  

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